Normes de « bonne gestion » et d’évaluation bousculent le secteur. Comment faire ?
Echange entre Michel Chauvière (MC) CNRS, et Michel Laforcade (ML), Dteur DDASS Dordogne
Vous semblez penser M. Chauvière que la « raison managériale » serait devenue le fondement des politiques sociales : un peu réducteur ?
MC : d’autres facteurs interviennent mais celui-ci a envahi l’espace, comme une sorte de fin en soi. Cela touche toute la société. La meilleure gestion tend à devenir système de référence et non outil au service des usagers ; se substitue à une réponse à la demande qui hiérarchise les besoins sociaux.
ML : c’est vrai, mouvement dans l’air du temps. Mais le social s’est souvent inspiré de modes de pensée : approche soignante, psychanalyse… et il peut trouver là aussi des éléments intéressants, la démarche de projet par ex. (stratégie, calendrier…). Peut aider à sortir d’un certain brouillard.
MC : « la psychanalyse intervenait sur le fond des choses », l’approche soignante aussi ; « le management, centré sur la procédure, n’apporte rien du point de vue analytique ». Pensée binaire.
On ne discute plus sur le fond, dans un contexte pourtant lourd (extension pauvreté, etc..)
ML : si on se contente de la procédure, on peut être dans le non-sens.
Néanmoins des inquiétudes s’expriment : inflation des normes, pression au regroupement. Moderniser ou réduire les coûts ?
ML : : si les pouvoirs publics voulaient vraiment seulement réduire les coûts, il pourraient le faire beaucoup plus simplement. Il n’y a pas de quotas de regroupement par ex. Le regroupement peut être aussi une manière de ne pas disparaître.
MC : on lit que c’est là la dernière chance de sauver le secteur et en même temps des directeurs craignent des marges de manœuvre trop réduites
Les professionnels sont au centre de contradictions : entre décentralisation et LOLF, loi 2002. Sans oublier la réforme annoncée de l’Etat : quid de la DGAS ?
ML :LOLF n’influe pas directement sur des budgets qui par ailleurs ne sont pas en baisse. Au lieu de se focaliser sur les moyens, il faut parler plus du « comment ». Là est l’espace de liberté et de décision.
Ces nouveaux modes de gestion n’enlèveraient pas toute marge de manœuvre aux acteurs … ?
MC : Ils laissent des marges mais ne « parient plus sur la mobilisation » des acteurs. On fait fi d’une histoire dont par ailleurs le secteur n’a pas à rougir.
ML : cette question de la culture professionnelle est un débat majeur. Mais les nouvelles injonctions peuvent être une manière pour s’y recentrer. Si on construit les référentiels au lieu de les subir, on interroge tout de suite l’éthique.
MC : l’état des forces du secteur ne va pas dans ce sens. Dans la majorité des cas, c’est plutôt imposé. Et je pense que le poids pris par les procédures génère plutôt des freins .
N’y-t-il pas acharnement à tout contrôler, évaluer ?
ML : les Dteurs peuvent avoir ce sentiment (stat tableaux, …) mais c’est « relativement clément ». Et la conception du contrôle est passée de la logique purement comptable aux questions de fond : choix d’intervention… nous allons au cœur du métier.
Il y a donc possibilité de réajuster à la hausse…
ML : Il nous faudra de petites enveloppes pour accompagner les résultats.
MC : nous assistons à un éclatement du social et de sa culture. Dans les années 70, on tendait à une doctrine commune. Aujourd’hui il y a un « social de crise » pour délinquants, immigrés, SDF qui, travaillant sur des pbs insolubles, se réinvente constamment. Et à côté un « social de routine », ciblé sur des situations plus stables (personnes âgées, handicapées…). L’image est brouillée, avec « un vide sur le plan doctrinal ».
ML : en effet « absence de débat de fond ». Mais il reviendra. Les clivages que vous décrivez posent aussi la question d’une réglementation appliquée à l’ensemble du secteur. Une assoc peut gérer des milliers d’emplois en étant sous la loi 1901 par ex… Il faudrait réglementer différemment les secteurs institués et les secteurs plus militants
M. Chauvière, vous voyez une « chalandisation » des esprits. S’adapter aux nouvelles injonctions est-ce perdre son âme ?
MC : L’Etat a longtemps financé seul le secteur ce qui « impliquait une éthique du service public » ; aujourd’hui financements diversifiés : idéal d’entreprise : on cherche ressources / clients. La démarche qualité fait du social un produit avec le risque d’abandon de toute approche clinique
ML : société « individualiste et consumériste » : on cherche à solvabiliser la demande (APA…) et les usagers peuvent choisir les aides. L’enjeu pour le secteur est de faire valoir sa valeur ajoutée.
Faut-il regretter la fin de l’Etat providence ?
MC : « Il n’est pas mort ! ». En France il y eu 2 contrats historiques : « compromis assistantiel » au début XX° et « assurantiel » après 45 (partenaires sociaux : conventions collectives, sécurité sociale...) Ont permis un grand développement.
Au lieu de coller des rustines, « il faut retrouver le chemin d’un pacte sur la question sociale entre l’Etat, les collectivités locales, les fédérations associatives et les professions » :permettrait de contenir et dépasser les changements du mode marchand. Une autre modernisation de la solidarité reste possible.
ML : l’Etat providence n’a pas disparu même si cette protection est en crise. Il faut y réfléchir. Notamment « évaluation de la décentralisation à partir des notions d’égalité et de légalité »…
A compléter en Bibliographie.
L’approche managériale, impasse ou opportunité à saisir pour les professionnels ?
ASH – 21/03/08 – 08 108
Quatre pages sur un sujet bien souvent traité… mais à lire : avec M. Chauvière on s’ennuie rarement ; des lignes d’accords se dessinent, intéressantes et on y apprend des choses. Bien sûr ni blanc ni noir, plutôt une feuille de route en camaïeu. Aide à se positionner, sans dramatisation ni évitement.