Contexte culturel et pratiques de rue au Sénégal

Moussa Sow (Avenir de l’enfant – Sénégal)

Nous sommes là pour parler des enfants et notre point commun est d’avoir été enfant.
L’accompagnement de l’enfant est un investissement pour le futur et de la qualité de cet accompagnement dépend que chaque enfant devienne acteur de développement.

S’il manque 1 et que l’on a 99, on n’aura jamais 100. Le 1 a toute son importance.
C’est de cette manière qu’il nous faut considérer chaque enfant, chaque jeune, comme ce 1 indispensable.

Les mots du Sénégal…

- Nous avons plusieurs mots pour dire ‘enfant’.

  • La langue wolof peut employer un mot qui désigne « quelqu’un avec qui on fait le chemin », et un autre désignant « quelqu’un à qui on inculque un savoir ».
    Ces vocables recouvrent des dimensions préventives dont je me sers dans mon travail avec les familles.
  • Si je passe du mot ‘enfant’ au mot ‘éduquer’, en wolof, le terme a deux significations : ‘être éduqué’, et aussi ‘cravache’.
    Ce mot induit une confusion entre l’outil (cravache) et la finalité (éducation), et conduit les gens à penser que l’on peut corriger les enfants et parfois cela dérape.
    A l’intérieur de la famille, ou alors avec la police plus de la moitié des enfants sont victimes de violences, commises ou avalisées par les parents. C’est une des données de notre intervention.
  • Au Sénégal il n’y a pas de mot pour dire « enfants de la rue ».
    Au départ il y a eu des jeunes garçons qui ont occupé la rue et on les a désignés sous le nom de « fax man », le vocable fax désignant la branche qui a été arrachée par le vent : elle ne sera jamais recollée.

- Il y a mille rues… que dire du travail de rue ? : c’est nous qui allons vers, c’est nous qui sommes demandeurs en ce sens là.
C’est une pratique qui amène à reconsidérer la relation d’aide.

Nous ‘travailleurs sociaux’ sommes-nous capables de faire évoluer les choses, de transformer les regards ?

-  Cela m’est arrivé un jour où je mangeais dans un restaurant : des jeunes de la rue voulaient dérober les restes que j’avais laissés dans mon assiette.
La patronne du restaurant les a violemment chassés et ensuite moi je suis sorti, j’ai parlé avec ces jeunes.
Je suis revenu avec eux un autre jour dans ce restaurant et j’ai payé leur repas. Une conversation a pu alors se tenir entre les jeunes, la patronne qui était habituée à les chasser, et moi. Il s’est avéré que cette dame avait des enfants de leur âge : dans ce restaurant on ne jette plus les restes, on les donne à ces enfants qui n’ont rien.

L’important de cette anecdote, c’est que les lignes ont bougé : cette femme a changé de regard, elle a maintenant une action qui lui est propre et ce sont des « petites » choses de cette sorte qui sont importantes.

Respect et évaluation du travail social

- J’aime en termes d’évaluation le critère du respect.
Il me paraît pertinent et j’ai eu l’occasion de m’interroger sur d’autres situations de travail qu’il me semblait difficile d’évaluer et où cette notion de respect me ramenait à mon approche du public.

  • Je pense à une infirmière qui court pour mettre en couveuse un enfant qui vient de naître : elle fait son travail, mais comment évaluer cette course éperdue ?
  • Je pense à un fossoyeur qui égalise la terre avant qu’elle reçoive le corps : et il le fait de la même façon pour un jeune qui est mort dans la rue ou pour une personnalité enterrée en grande pompe. Notre travail est comparable à ces deux gestes, à cette course, à cette égalité de traitement.

Ces deux personnes partagent le respect de l’humain dans toutes ses dimensions et ce respect est au cœur de notre fonction de travailleurs sociaux.

Nous ne pouvons pas changer le passé mais nous pouvons assumer nos responsabilités vis-à-vis du futur.
Le travail social n’œuvre pas seulement pour des résultats immédiats.
En Afrique nous illustrons cela par l’exemple du baobab : celui qui le plante n’en récolte pas les fruits. Les fruits sont pour sa descendance.

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