Travail de rue et politique : convergences et divergences.

:) :)
Jean Blairon (RSA ABSL – Belgique)

Les tendances à l’œuvre dans la société

- Un panneau d’affichage représente une gare devant laquelle est apposée une affiche de type publicitaire : on y voit un centaure féminin de dos et dénudé, avec des cheveux très longs et bouclés.
Un jeune cadre d’allure dynamique regarde la femme-centaure.
Et une légende dit « Quelque chose de suspect ? Appelez la sécurité »… (suit un numéro de téléphone).

  • La suspicion est présentée ici d’une façon séduisante et la délation érotisée.
    Cette campagne incite à participer au maintien de l’ordre en tant que citoyen privé.
    Il y a là un nouveau visage de la délation.

- Dans « l’insécurité du territoire », Paul Virilio en 1993 faisait un parallèle entre l’état nazi (« développement de l’effort de défense avec tout ce que cela suppose de conflits et de ruptures entre les groupes ») et l’état moderne dont, disait-il, « l’organisation systématique de la délation pourrait bien devenir le chef-d’œuvre ».

- Et en effet nous sommes invités aujourd’hui à transmettre des informations.

  • En Belgique les associations financées par l’Etat sont concernées par ce que l’on appelle la « clause d’adressage » : le service de l’emploi peut leur envoyer des demandeurs d’emploi et les associations sont contraintes de communiquer les noms des jeunes observés comme étant en décrochage.

- L’époque est caractérisée par

  • L’individualisation ;
  • La responsabilisation de chacun, voire la culpabilisation ;
  • L’abandon de l’état providence au profit d’une liberté qui redevient conditionnelle ;
  • La sécurité des conditions d’existence remplacée par le sécuritaire.

Sur l’affiche de la femme-centaure on « retourne » la délation, et de la même façon le travail de rue peut aussi être « retourné » et lui donner des finalités de contrôle.

Penser le sens de l’Etat

- Dans les années 60 les associations le voyaient comme un Etat bourgeois et répressif.

- Avec la montée du néo libéralisme, il est apparu comme le garant d’un certain nombre de protections sociales.
Bourdieu a pu dire que l’Etat avait une main gauche (travail social entre autres) et une main droite.
On parlait d’une schizophrénie de l’Etat.

- Dans le nouveau modèle libéral, on voit en outre comment l’Etat opère le transfert des effets du système sur les victimes : c’est le moment où se mélangent aide et contrôle.

- Les transformations du champ social ont suivi une voie semblable :

  • déréglementation ;
  • décloisonnement ;
  • accompagnement détourné (l’individu est seul face à son destin).
  • Malgré tout l’Etat reconnaît la contribution du secteur associatif à la citoyenneté.
    Par exemple, en Belgique on va peut-être être voter un droit opposable à la critique sociale.
  • Répressif mais garant de la protection sociale ;
  • soutien indispensable mais porteur de contention
    On est passé d’une domination simple à une domination complexe et les différentes facettes de l’Etat se mélangent si bien que les métiers s’en ressentent.

L’enjeu de la communication

- En matière d’aide individuelle, il ne faut rien communiquer.

  • La capacité de créer de la confiance est centrale dans notre relation avec les jeunes dont nous nous occupons.
    Ils sont très stigmatisables et dotés d’un capital culturel négatif.
  • Le travail de rue doit revendiquer le droit à la confidentialité.

- Sur le sens de notre travail

  • Ce que nous refusons
    • l’uniformisation des styles et des parcours de vie ;
    • la spoliation des ressources culturelles alors que tout le monde participe à la production du capital culturel ;
    • les attentes normatives (vider l’espace public de tout ce qui fait tache).
  • Ce que nous savons
    • les souffrances que voyons, ainsi que leurs causes et leurs mécanismes.
  • Ce que nous revendiquons
    • une place dans les ressources culturelles, à partir de ce que nous produisons en terme de confiance, de respect….
      Et à ce titre, nous pourrions réclamer les contributions et rétributions qui nous sont dues au titre de cette production.

Mais il faut nouer des alliances autour de cette reconnaissance d’un capital culturel autonome et des gens qui le produisent.
De manière à jeter les bases d’un capital culturel partagé par tous.

Voir la vidéo