Par M. Serge Paugam, sociologue
- Vous demandez « à quoi servent les pauvres ? »…
La pauvreté remplit une fonction économique (emplois peu valorisants mais nécessaires) et une fonction anthropologique ; pour exister chaque strate se démarque d’une strate encore plus pauvre.
- Bilan des politiques d’insertion plutôt sombre…
L’insertion doit favoriser l’accès à un travail plus stable et non maintenir les gens dans une situation entre emploi et assistance… mais au bout de 10 ans de RMI la situation des allocataires s’était peu améliorée….
On a fait croire qu’un CES débouchait sur l’emploi, mais ça marchait rarement.
Il faut faire des efforts pour aider à l’insertion mais aussi s’interroger sur les effets à long terme.
- Vous parlez d’une « usure de la compassion »
Vers la fin des années 90 l’explication de la pauvreté par l’injustice avait reculé.
Et j’ai constaté que partout en Europe il en était ainsi.
Dans ces années-là baisse du chômage et hausse des emplois précaires et de la flexibilité : « pourquoi certains sont-ils assistés et d’autres n’acceptent pas ces emplois ? », et les pouvoirs publics ont adopté ce discours…
- Le RSA en est-il la conséquence logique ?
Continuité du RMI : conviction que l’activité permettra à la personne d’aller mieux ; mais si l’emploi est précaire ce n’est pas forcément vrai.
L’indispensable débat sur contenu de l’emploie et perspectives réelles n’a pas eu lieu.
« La philosophie de l’accompagnement social de l’ensemble des allocataires sur laquelle reposait fortement le RMI » est abandonnée.
- Les travailleurs sociaux n’échappent pas à ces évolutions…
C’est probable, et ils en sont également victimes.
Au début très enthousiastes vis-à-vis du RMI… mais ensuite on leur a demandé de faire du chiffre… mission intenable.
- Depuis 88 quelles améliorations dans notre connaissance de la pauvreté ?
On sait (sciences sociales) qu’elle est « une construction sociale à analyser en tant que telle » ; qu’elle n’est pas statique mais mouvante dans le temps et multidimensionnelle.
Il faut prendre en compte la possibilité d’une évolution des personnes et cette lutte « se gagne très en amont » (éducation, logement…)
Il faudrait « analyser la pauvreté comme un risque pesant sur une part importante de la population au même titre que la maladie » : politique de réduction de risque. Mais en tient-on compte de cette façon ?
La régulation des pauvres – 2008 – Ed. PUF – 10 €