Entretien avec M. Jovelin, sociologue
Coordonateur de Histoire du travail social en Europe (évolution dans 17 pays)
Plusieurs modèles de travail social en Europe.
- Modèle libéral : chacun cotise en fonction de ses moyens, l’Etat assure un minimum aux plus démunis et les travailleurs sociaux misent sur la responsabilité individuelle. (Angleterre par ex.)
- Modèle conservateur-corporatiste : protection sociale assurée par les cotisations de ceux qui travaillent et vue comme expression de la solidarité ; toutes les formes de travail social cohabitent : individuel, communautaire… en Angleterre surtout intervention sociale individualisée (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Autriche).
- Modèle social-démocrate : taux d’imposition élevé assure un niveau élevé de prestations. Accès à des droits fondamentaux garantis par la Constitution sur une base universelle ; le travail social a une visée préventive (Pays scandinaves).
- Modèle dit « rudimentaire » : les personnes en difficultés doivent compter sur les réseaux familiaux et informels et les travailleurs salariés ont des avantages sociaux. En Italie 75 % des personnes âgées et handicapées reçoivent de l’aide uniquement de la famille… idem garde des enfants etc. Réponse dans la proximité et non dans les dispositifs (Pays méditerranéens).
Ces différents modèles subissent-ils des évolutions similaires ?
La crise de l’Etat providence bouscule les anciens systèmes : de plus en plus gestionnaires ils tendent vers le modèle libéral anglais.
Travailleurs sociaux doivent jongler entre restrictions des aides et exigences de qualité.
En France la loi 2002-2 met l’usager au centre et marque une inflexion libérale : attention portée au contrôle et aux résultats.
Que peut-on apprendre des autres pays européens ?
La manière dont ils évaluent le travail social : la France est en retard là-dessus ; s’est réfugiée dans l’idée que l’on ne peut évaluer la relation d’aide ; alors on manque souvent de critères.
« Réfléchir à la mise en place d’indicateurs, c’est construire le travail social de demain »
Peut-on parler d’une spécificité française en matière de travail social ?
- Oui. Multiplication des métiers. Ailleurs principalement assistants sociaux et éducateurs sociaux ou spécialisés. Existent aussi des animateurs mais en France « conglomérat » de professions regroupés sous l’appellation « intervention sociale »
- Oui. profusion de diplômes. Au-delà des 4 grandes filières (éducative, sociale, animation et aide à domicile) il y a des formations dépendant de ministères (justice, EN), des diplômes liés aux fonctions d’encadrement et quelques formations universitaires. _
Ailleurs, parfois toutes les formations dispensées à l’université (Italie, Islande, Suède…) ; ou dans des universités des métiers comme aux Pays-Bas.
La France « a fait le choix de d’études purement professionnelles. Mais gagnerait à suivre l’exemple de ces pays. »
Pourquoi ?
Au-delà de la mobilité européenne des étudiants, « la théorie est nécessaire en tant qu’aide à la décision des praticiens » : enseignement de la théorie insuffisant en France (surtout psy).
Du coup on a l’impression que les universitaires pensent à la place des travailleurs sociaux.
En Finlande le travail social est une discipline à part entière, à l’université, ce qui a permis le développement de la recherche.
Mais cela existe aussi en Suède, en Allemagne, en Angleterre… : environ 40 doctorats en travail social en Europe et plus de 70 aux USA sans compter le Canada.
Il est temps de considérer le travail social « comme un espace qui produirait des savoirs de l’intervention professionnelle dans le cadre d’une discipline autonome »
Le rattacher à l’université serait une manière de relever le niveau des futurs professionnels et de financer des labos. En France on encourage les centres de formation à faire de la recherche mais on ne budgétise pas de postes de chercheurs…..
La chaire du CNAM est une bonne idée mais il faut aller plus loin. Des « Hautes Ecoles », avec des labos (comme en Suisse, Pays-Bas, Belgique) ?.
Histoire du travail social en Europe – Coord. M. E. Jovelin - Ed. Vuibert – 28 €