Entretien avec Manuel Boucher : « Casser la ghettoïsation suppose une repolitisation des quartiers »

10/7/606 – ASH 01/10/10 –p.36-37
:) :)  ?
Y-a-t-il de la prévention spécialisée dans la ville où il a enquêté ? Question un peu provo mais tant pis... Au-delà l’expression "indigènes" peut choquer mais il faut entendre que l’angle racial est de plus en plus présent, pour le meilleur .... et pour le pire ? A réfléchir.. et que les nouvelles qualifications du social sont de plus en plus souvent citées.

Les internés du ghetto. Ethnographie des confrontations violentes dans une cité impopulaire

- Ouvrage né d’un appel d’offres de l’INHESI.

  • Analyser les interactions génératrices de violences dans les « quartiers », surtout entre jeunes et police.
  • Enquête dans une ville moyenne ayant connu des événements violents en 2005 (couvre-feu 11 jours).

-  Les ados & jeunes adultes désignés « fauteurs de troubles » forment un groupe composite.

  1. Collégiens scolarisés dans le quartier : relations avec enseignants et intervenants sociaux.
  2. «  Galériens » : jeunes adultes ayant souvent arrêté leurs études, sans emploi stable passant leur vie au pied des immeubles ; cherchent à fuir l’ennui.
  3. «  Soldats du ghetto  » (SDG) : les plus visibles, s’inspirent des gangs nord-américains  ;
    minorité bruyante et « racisée » à laquelle on a tendance à associer tous les jeunes du quartier.

- Qu’appelez-vous les « pacificateurs indigènes » ?

  • Les travailleur sociaux classiques sont absents ;
  • les AS travaillent sur les question de pauvreté mais pas avec les jeunes « turbulents ».
  • Ces « indigènes » issus du quartier, y vivent et sont très présents
  • Ils travaillent souvent dans la médiation ou l’animation. Rôle fondamental de référent auprès des jeunes ;
  • peu formés, mais « sur engagés » dans un rôle qui les insère aussi.
  • «  Sans eux il y aurait sans doute plus de violences émeutières »
  • Il y a aussi des parents qui s’interposent pour éviter des bavures ou des humiliations.
  • - Vous avez aussi rencontré des policiers… Là aussi on découvre un univers composite  :

    1. Unité territoriale de quartier : beaucoup de femmes et d’agents âgés «  plutôt profil bas  »
    2. Brigades CRS : 5 fourgons tournent de 21 h à 5 h depuis 2005, ce qui génère des tensions ; ils ne font que passer.
    3. BAC de jour : certains connaissent tout le monde et ils évitent les violences.
    4. BAC de nuit : plus jeunes ils ont affaire au public de nuit et sont souvent dans une relation ambivalente de provocation,
      avec le passif de 2005 où des jeunes étaient prêts à les lyncher.
    • Entre les jeunes et les forces de l’ordre, est à l’œuvre une déshumanisation réciproque produisant un cercle vicieux.
    • S’il y a un zèle excessif dans les procédures policières par ex., il peut y avoir des violences très fortes.
    • En 2005 ces tensions ont cristallisé : défoulement.

    - Comment déboucher sur de la reconnaissance ?

    • Ne pas se contenter de pacifier des quartiers où « le monde extérieur est perçu comme froid et fermé (…) suppose une repolitisation (..) avec une reconnaissance sociale de leurs habitants et de leur capacité à coproduire la société  »
    • écoles, police de proximité… des moyens.

    - Dans ce processus, les intervenants sociaux classiques ont-ils encore leur place ?

    • « Pour le moment en tout cas, ils ne l’ont plus.
    • Pour réhabiliter le travail social dans ces quartiers je plaide pour que l’on permette aux pacificateurs indigènes d’accéder à des qualifications professionnelles du travail social. (…)
    • Les travailleurs sociaux déjà qualifiés doivent reconflictualiser leur rapport au travail social et défendre ses valeurs intrinsèques, en particulier la croyance dans la transformation sociale en refusant les injonctions paradoxales. »
    • Construire avec ces populations des actions émancipatrices pour qu’elles accèdent à une réelle citoyenneté

    - Préface par Didier Lapeyronnie

    • Ed. L’Harmattan – 424 p. - 38 €